Léo, libraire à Bordeaux, démonte la rumeur de la mort du livre

Avec son accord, nous reproduisons le texte de Léo Noël, qui vient d’ouvrir une librairie à Bordeaux. Avec un clin d’oeil malicieux nous lui avons dit « Mais c’est courageux dis donc, de nos jours d’ouvrir une librairie… ». Et lui de répondre avec un clin d’oeil malicieux…

La rumeur de la mort du livre

lavieenmieuxLa Zone du Dehors est ouverte depuis Juin 2015, et je crois que ces premières lignes, ma foi pleines de franche sollicitude, sont les mots que nous avons le plus entendus. Ces clients soutiennent alors (plus ou moins volontairement) l’idée selon laquelle le livre serait en train de mourir, remplacé par son équivalent numérique, qu’Amazon détruirait tout sur son passage, que plein de petites librairies seraient en train de mourir chaque jour, etc…

La Zone vous le dit haut et fort : QUE NENNI !

Nous allons revenir sur ces remarques et tenter de ne pas se laisser aller à la panique.

La plupart des informations que je vais vous donner de mémoire dans ce post sont approfondies dans le livre « Pratiques culturelles des Français » d’Olivier Donnat, les ouvrages d’André Schiffrin sur les métiers de l’édition, le site du SLF (Syndicat du Livre Français) et différents articles glanés ça et là.

1. Il existe bel et bien une baisse de la vente de livre en France, une baisse qui a commencé un peu avant le début des années 80, et qui est restée stable jusqu’à 2014.

bookisdead La zone te le répète, la baisse est restée stable, également quand internet est apparu, de même quand Amazon s’est installé, et toujours stable avec le développement du livre numérique. Aucun de ces nouveaux médias n’a provoqué une modification substantielle de la tendance en cours.

De plus, la vente de livre a enregistré une hausse de 3% des ventes pour l’année 2014, ce qui ne s’était pas vu depuis environ 35 ans.
Cette baisse s’explique principalement grâce à l’histoire de la librairie. Après 68, se développent d’une part les petites librairies indépendantes, et d’autre part, les cursus universitaires. Les années 70 connaissent un essor de la vente des livres pour atteindre des records qui ne seront plus jamais dépassés par la suite.

L’effet « nouveauté » passant, les ventes de livres ont baissé, tranquillement et régulièrement durant les 35 années qui ont suivi. Aujourd’hui, les libraires qui ont ouvert dans les années 70 partent à la retraite, et ne trouvent pas de repreneur. C’est assez logique, car le modèle économique de la librairie est intrinsèquement fait pour ne faire que peu de bénéfice (comme Amazon, la librairie réinvestit toujours pour développer son stock de livre).

Les librairies indépendantes sont aussi beaucoup plus personnalisées, et il est souvent préféré par les jeunes libraires de passer par la création totale d’une boutique et de son univers que de tenter de recoller à celui d’un précédent confrère.

2. On n’entend pas autant parler des nouvelles librairies que de celles qui ferment.

zone-du-dehors-botC’est toujours plus sensationnel de parler du pauvre quartier en larmes devant la culture qui meurt un peu plus chaque jour, ça fait vraiment bien pour le Journal Télévisé. Ce n’est pourtant pas représentatif de la réalité.

Seulement pour la ville de Bordeaux, en quelques années se sont ouvertes « Le passeur« , « La Zone du dehors« , « La mauvaise réputation« , « La petite machine à lire« , « Au petit chaperon rouge« , « pulp« , « BD avenue« . 7 ouvertures pour 1 fermeture récente : « Bobby et Cie » (pour cause de dégât des eaux).

[erratum: ma tendance à voir le bon coté des choses me joue des tours, on peut compter BDélire, Contraportada, Virgin, Privat, oscar’hiboux comme fermetures également. Si on n’a rien oublié cette fois, ça fait 7 ouvertures pour 6 fermetures. Merci @Axelle Katrantzis-Wolters pour tes corrections]

3. Maintenant il faut expliquer la hausse des 3%

Attendue depuis un moment, il faut avouer qu’elle a tardé à venir (effet de la crise économique peut-être), mais elle demeurait très prévisible.

Car le nombre de lecteur augmente exceptionnellement ces dernières années. Il faut bien comprendre que le Net et le numérique sont des alliés de la lecture. Nombre de personnes qui avaient dans leur habitudes de passer du temps devant la télévision, ont migré vers les ordinateur connectés, ou leur téléphone. Mais n’oublions pas qu’il s’agit le plus souvent d’un moment actif (en opposition à l’inactivité relative à la télévision), et souvent d’un moment de lecture.

L’acte de lecture est nettement plus populaire depuis, et le passage au livre en est d’autant plus facilité. Aux Etats-Unis, le livre numérique a été lancé plus tôt sur le marché, et avec plus de moyens. Ils ont donc, dans ce domaine un temps d’avance par rapport à la France, et nous pouvons émettre des hypothèses sur l’avenir du numérique en observant l’évolution de ce marché aux USA. Les dernières analyses que nous avons pu voir à La Zone datent un peu (elles sont de 2008). Elles montraient que la vente de livre numérique représentait maintenant 30% du marché du livre.

Oh mais quelle horreur ! Comment vont faire les libraires ???

En vérité, les libraires vont bien, car pendant que l’e-book atteignait son honorable score, la vente de livre papier, elle, ne connaissait une baisse que de 5%.

Ces chiffres signifient simplement qu’il n’y a pas d’effet de vase communiquant, ce ne sont pas des ventes « volées » au livre papier, mais bel et bien des ventes supplémentaires en grande partie, démonstrative de l’augmentation de la population de lecteurs.

Donc pas d’inquiétude, rangez vos larmes, amis du livre, on va très bien. J’en profite pour ajouter 2 choses qui sont assez connectées au sujet abordé ici. Le livre (dont le prix est le même partout, sur internet comme en librairie, comme en hypermarché) est le produit qui a le moins augmenté suite au passage à l’euro, il a même, relativement à la valeur du prix de la vie, source Syndicat du Livre.

Je tiens aussi à préciser qu’Amazon est un outil. Comme tout outil, il n’est pas dangereux en soi, ce ne sont que ses utilisations qui peuvent l’être. La Zone déplore tout à fait la politique de gestion des employés de la firme Amazon, elle déplore tout autant les principes d’esquive fiscale pratiqués par Amazon (mais en fait par de nombreuses firmes, dans tout les domaines de marché).

Par contre, elle est très heureuse de pouvoir retrouver des ouvrages qui ne sont plus édités, elle est est ravie que certaines zones géographiques puissent avoir accès au livre grâce à leur service de livraison. La Zone pense qu’il vaut mieux travailler avec Amazon que contre Amazon, et vous rappelle que nous vous invitons jeudi 9 juillet pour le lancement de l’application « Le même en mieux », pour un bon exemple de cohabitation saine avec la vente en ligne.

Ce texte est à lire et commenter sur la page Facebook de la Zone du Dehors.

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